Ce jour-là, au cœur de la forêt de Bodan Nou (la grande forêt), parmi les Irokos (Allah) et les nuages, Koffi Bôklofêh (Koffi qui aime les Bonnes choses) était parti chercher du Bois.
Il marchait depuis longtemps déjà. Le soleil était chaud et il commençait à être bien chargé. Aussi était-il fatigué. Il se dépêchait d’arriver à Ndenou, son petit village. Il arriva à une source sacrée, Bédémi (Qu’on me prenne).
Là, il y avait une conque formée de rochers et de racines. Il posa son fardeau, détacha son Djénou, (sorte de sous-corps, ou caleçon, en tissu baoulé) s’agenouilla et bu longuement. Puis, il se mouilla la nuque, se lava le visage, plongea la tête dans l’eau.
Quand il se releva, il aperçut son reflet dans l’eau. Mais il vit quelqu’un à ses côtés. C’était une femme, une très vieille femme au visage ridé et émacié. Ses yeux sombres étaient profondément enfoncés dans les orbites. Elle était maigre, très maigre… Elle n’avait que la peau sur les os. Et de son corps, se dégageait une exhalaison pestilentielle. C’était Moh Ewué, Princesse de la mort…
Koffi Bôklofêh frissonna. Il n’avait pas envie de mourir ! Il était si jeune !
– Que veux-tu ? parvint-il à murmurer.
– Rassure-toi, ce n’est pas toi que je viens chercher. J’attends quelqu’un d’autre, lui répondit Moh Ewué.
Aussitôt, le jeune se sentit mieux, alors il dit :
– Moh Ewué, vois-tu, c’est effrayant de te voir surgir ainsi. Je voudrais te demander quelque chose. Le jour où mon heure sera venue, le jour où c’est moi que tu viendras chercher, préviens-moi un peu à l’avance pour que je m’habitue à l’idée. Envoie-moi quelques signes… Moh Ewué promit.
Koffi Bôklofêh rentra chez lui avec son fagot. Il reprit ses occupations.
Le temps passa. Il fit la connaissance de Taloah Klaman, une belle jeune fille et ils se marièrent. Ils eurent trois enfants : Akpôlou, Assamala et Behiblo. Les enfants grandirent. Koffi Bôklofêh et sa famille n’étaient pas riches mais ils vivaient heureux dans leur case du village de Ndenou, à l’orée de Bodan Nou la grande forêt.
Les années passèrent et les enfants eurent des enfants à leur tour.
Koffi Bôklofêh allait toujours chercher du bois dans la forêt et depuis tant d’années, il avait pris l’habitude de se rafraîchir à la source Bédémi.
Un jour, comme il s’y désaltérait, il vit le visage de Moh Ewué se refléter dans l’eau. Il tressaillit, se retourna et lui demanda ce qu’elle faisait là.
– Ce que je fais là ? Je suis venue te chercher, répondit la Mort.
– Comment ? Déjà ? Tu as oublié ta promesse… Tu devais me prévenir avant de venir, se plaignit l’homme.
– Mais, dit Moh Ewué, n’as-tu pas vu tes cheveux blanchir ? N’as-tu pas vu les rides creuser ton visage ? Les fagots n’étaient-ils pas un peu plus lourds chaque année ? Tes pas dans la forêt ne pesaient-ils pas un peu davantage au fil du temps qui passait ? Tes douleurs à la hanche ? Ta femme, la si belle et délicieuse Taloah Klaman, depuis quand ne l’as-tu plus honorée ? Comment oses-tu dire que je ne t’ai pas prévenu ?
« Là-dessus, au fond de la forêt, Moh Ewué l’emporte et puis lui donne la mort, Sans autre forme de procès ».
[Conçu, Ecrit et Propulsé par feu Dr Diahou Bertin N’Guessan]